Le soleil venait tout juste de se coucher. Si les arbres de la sombre forêt noire ne gênaient pas l'horizon, le village elfique aurait pu être encore éclairé. Mais la pénombre régnait désormais, masquant les visages et les activités peu honnêtes qui s'y tramait.
La plus grande des cabanes - elle seule disposait d'un étage - servait de taverne improvisée et de lieu de rencontre pour les chasseurs et contrebandiers des environs. Les torches et lanternes, bien que nombreuses, ne suffisaient pas a rendre ce lieu accueillant, préservant bien au contraire un aura malsain commun aux parties les plus obscures de la forêt.
Le tenancier, un elfe borgne et gras, fournissait quelques paillasses dans la remise au fond de la grande salle pour ceux qui désiraient un endroit où dormir.

*Bon pour ceux qui veulent un repos éternel*

Nobsius, rentrant d'une chasse qui avait duré 3 jours, venait de s'assoir à l'une des tables libres, et commanda un repas simple mais chaud. Au moins la nourriture ici était bonne, le gibier étant disponible à profusion autour du village.
Son sanglier, Empaleur, pouvait même prétendre a avoir une assiette de pommes et de légumes frais provenant du jardin jouxtant la taverne.

Une heure passa environ, et la fréquentation grimpa en flèche, les chasseurs, contrebandiers et autres bandits des environs venant profiter de leur salaire après une journée de "dur labeur", chacun vantant la taille de l'ours abattu ou de la bourse volée.

Lyn était tombée malade. Wanaël s'inquiétait pour la peine beaucoup pour la bébé tigresse, qui était mal en point. Déjà fragile quand on la lui avait confiée, Wanaël avait tout fait pour la sauver, et là, elle devait admettre que cette situation l'inquiétait.

Elle l'avait tout naturellement faite examiner par les employés d'Ernelzya qui géraient la section animalerie, et problème : pour pouvoir concocter le remède qui sauverait Lyn, il manquait quelques ingrédients qu'on ne trouvait que dans la Forêt Noire...

L'elfe n'avait donc pas hésité. Elle avait confié Lyn à ses employés, et était partie avec Baynar, son imposant tigre blanc et Familier.

Ce fut enveloppée dans une cape de voyage qu'elle était donc partie dans sa région natale, à l'aide de sorts jetables de téléportation afin de pouvoir gagner du temps.

Puis elle avait passé sa journée à chercher. Native d'ici, elle trouva rapidement la majorité des ingrédients qu'il fallait, en ramassant même plus que ce qu'il fallait afin de pouvoir faire quelques réserves au cas où.

Elle eut du mal à trouver le dernier, plus difficile, mais la Forêt Noire n'avait aucun secret pour Wanaël...elle trouva donc le lieu où poussait ladite plante, sauf qu'il n'y en avait plus...quelqu'un était visiblement passé avant elle. Qui jura.

- Baynar, retrouve la trace de la personne qui a ramassé ces plantes ! Il n'est peut-être pas trop tard...je vais essayer de la localiser...

Après tout, elle était une elfe. Elle savait donc parfaitement communiquer avec la nature, surtout en ayant en plus grandi ici. Alors elle se concentra, et demanda de l'aide aux arbres, dont elle put voir certaines images.

Qui la menèrent à un village caché. Malheureusement pas très bien famé...Wanaël grimaça, rompant contact.

Cela lui rappelait de bien mauvais souvenirs. Notamment la période où elle était mercenaire et qu'elle tentait de survivre. Mais où ce genre de chose la menait souvent face à ce genre de personne qu'elle n'appréciait pas. Notamment les hommes qu'elle avait tendance à craindre.

Mais...jamais elle n'abandonnerait Lyn. Elle ne la laisserait pas mourir. Les tigres, surtout les blancs, étaient une espèce quasiment éteinte, après tout, Wanaël n'en avait jamais vu d'autres à part Lyn et Baynar. Raison de plus pour sauver cette petite tigresse orpheline, pas encore très résistante à cause de l'hiver.

Ce fut donc résolue qu'elle se dirigea vers ce village, se fiant aux sens de Baynar. Qui serait là pour la protéger en cas de pépin. Après tout, un tigre, ça dissuadait toujours. Surtout quand celui-ci n'était pas du genre à hésiter...s'il ne tuait pas, c'était seulement parce que Wanaël le lui ordonnait, toutefois, Baynar avait déjà quasiment bouffé la main d'un homme qui s'était approché d'elle d'un peu trop près...

Elle arriva dans ce village le soir, et garda son capuchon sur sa tête. Dans ce genre d'endroit, mieux valait garder la tête couverte le plus possible. Elle se forgea aussi son masque habituel en ce genre de situation.

Baynar lui indiqua l'homme qu'elle devait voir, aussi s'assit-elle en face de lui, payant le serveur qui vint pour imposer une commande. Après tout, dans ce genre de lieu, c'était comme ça que ça marchait.

L'homme, tenta de la dévisager, en vain, mais demanda tout naturellement :

- Ouais ? C'est pour quoi ?

- Vous possédez une plante rare dans votre sac. Je les veux.

Avec les bandits, inutile d'aller dans la finesse. Wanaël avait côtoyé ce monde-là pendant dix bonnes années. Bien sûr, comme prévu, l'homme ricana :

- C'est que ça vaut cher, ces herbes. Il me faudra donc une compensation valable afin que ça soit équitable...

Baynar gronda, l'elfe passa une main sur sa tête pour l'inciter à se calmer. Ce genre de réflexion, elle avait en revanche grandi avec depuis toute petite. Voir même plus.

- Désolée, mais si vous pensez à finir en steack pour mon compagnon, je ne pense pas que ça soit équitable pour vous...ceci dit, cela ne me gêne pas, après tout, je me retrouverai gagnante dans ce genre de jeu...

- Dure en affaire, hein ?

Wanaël sortit une petite bourse, qu'elle ouvrit par-dessus la table, y déversant pas mal d'opales, plus que ce que la pochette pouvait à priori en contenir. Mais ici, on était sur Ernelzya, et sur Ernelzya, les gens avaient le sens de la pratique. Donc, jamais de bourse trop imposantes, mais qui pouvaient contenir autant d'opales qu'on voulait.

L'elfe en déversa 1000, pas moins, mais pas plus non-plus, car c'était un peu trop dangereux pour elle, sinon.

- Voilà leur équivalence. Alors maintenant, donnez-moi les herbes. Et allez vous payer des filles consentantes avec cet argent.

Elle évita de rajouter "Espèce de gros porc" à la fin, tout en essayant de dissimuler le dégoût dans sa voix.

- Marché conclu...

Wanaël se saisit des herbes qu'elle enfourna très vite dans son sac, et se leva de sa chaise. Elle se méfiait de ce genre d'homme. Elle savait que quand ils avaient une idée en tête, il ne fallait pas se fier à leurs mots...

Vite. Sortir. Maintenant. Au cas où, elle se préparait déjà à invoquer sa double-lame...là aussi très dissuasive, en général.

[Voilà, je te laisse champ libre, j'espère que ça t'ira ^^]

-Marché conclu...

Nobsius avait assisté à l'entrée de cet étrange personnage encapuchonné, bien différent des individus qui venaient d'habitude dans ce genre d'endroit. Une allure raffinée, une cape de qualité, tout qui indiquait que ce bonhomme n'avait rien à faire ici, à moins d'avoir une affaire urgente à régler. L'individu avait bien fait de venir avec son tigre, qui dissuadait les mains baladeuses et les lames trop hâtivement tirées.

Intrigué par l'objet du marchandage (Nobsius n'avait pas entendu la conversation), le démon utilisa les sens de son compagnon Empaleur pour renifler le contenu de la sacoche. Si les effluves de tigre étaient fortes, le sanglier et son maître parvinrent à décerner une odeur de plantes.

*Toutes ces opales pour trois brins d'herbes?! Il est complètement givré celui là! *

Bien évidemment, il pouvait s'agir de plantes hallucinogènes dont raffolaient les amateurs de drogues et autres substances qui vous ruinaient la santé,  mais l'acheteur ne semblait pas faire partir de cette catégorie.
Il devait plutôt s'agir d'herbes magiques ou utilisées dans quelque décoction, ce qui confirmait la provenance de cette personne. Une andouille d'enchanteur venant de l'école d'Ernelzya. Probablement un élève qui avait trouvé une formule à moitié oubliée et qui cherchait à épater son professeur. Et qui allait se faire trucider à la sortie de la taverne.

En effet, trois individus qui eux ne denotaient pas avec l'endroit étaient prêts à passer à l'action, laissant quelques mètres d'avance  à leur victime. L'un était un hybride armé d'une épée courte, les deux autres étaient des elfes, l'un armé d'un arc (bonjour le stéréotype) et l'autre d'une hache de combat.

*Et bien j'espère que notre apprenti sorcier connaît des sorts de combat. Et que son tigre est à l'affût.*

Après tout, qu'est ce qui pouvait bien retenir suffisamment l'attention de Nobsius dans cette histoire pour le détourner du contenu de la superbe bouteille de vin posée devant lui?
Ce n'était qu'un stupide fana d'herbes, et trois idiots de bandits.

*N'empêche, sa bourse semblait loin d'être vide...*

Nobisus pris la bouteille pour se servir une nouvelle rasade. Les trois compères sortirent au même moment pour commettre leur forfait.

*Et s'il est prêt à débourser autant pour des feuilles vertes, il pourrait se montrer généreux envers son sauveur...*

-Bouse de troll...

L'appât du gain plus fort que son alcoolisme, Nobsius pris sa lance, Empaleur déjà prêt à partir.

Hâtant le pas pour rejoindre le damoiseau en détresse,  le démon arriva dans l'une des ruelles qui menaient vers la forêt.
L'étranger à capuche était là, les trois bandits sur ses talons. Le plus menaçant était l'elfe à la hache, c'est pourquoi Nobsius lui lança sa lance en travers du corps. Le souci avec ce genre de lancé, c'est que le projectile, à grande vitesse et à bout presque portant, peut se planter dans n'importe quelle surface assez molle et proche derrière votre cible. Du coup le démon se retrouvait avec une arme figée dans la poutre en bois qui soutenait le toit de la cabane voisine.

Le second bandit, l'hybride, vit le sort de son compagnon et put réagir en conséquent. Il se retourna et s'apprêta à charger le responsable de la mort de son collègue. C'était sans compter un sanglier belliqueux également prêt à charger mais plus rapide. La bête se rua sur le malheureux, lui brisant les jambes. Nobsius pût aisément écraser la glotte de son adversaire alors au sol, le tuant sur le coup, et récupéra sa lance.
.
Seul l'archer vivait encore, ne sachant qui de sa cible originelle ou du nouvel arrivant viser.

*Je vais pouvoir "trancher" pour toi mon gars.*

Sitôt ce jeu de mot pensé et regretté,  Empaleur partit en trombe vers le bandit. Il lui trancha le mollet avec une de ses défenses,  faisant pousser à l'elfe un cri strident. Nobsius pût alors, son ennemi à genoux, lui planter sa lance dans la colonne vertébrale, mettant un terme à sa négligeable vie.

*Hum.... Pour la récompense, pourquoi s'arrêter en si bon chemin?*

Nobsius,  une fois son trait en main et dégagé du cadavre de l'elfe,  arma son bras et visa l'individu.

*Après tout, pourquoi se contenter d'une récompense qu'en on peut récupérer la bourse dans son intégralité?*

*Bouse de troll! Ce type est armé!*

Nobsius n'avait pas pensé que le gars aurait une arme invisible. Et avec le gros chat blanc à côté, inutile de continuer le combat perdu d'avance.
De plus il avait du mal à réfléchir, assailli par les pensées de son familier, dont l'instinct qui disait de fuir l'énorme tigre, le "sens du devoir" qui lui ordonnait de rester auprès de son maître,  et son caractère qui prônait une charge héroïque sur le tigre.

Nobsius alors baissa son arme, et prit une pose plus décontractée, comme si le danger venait de passer.

-Je pensais qu'un autre individu se tenait derrière vous. Inutile de me remercier d'ailleurs,  je n'ai fait que sauver votre peau...

*Et toi tu viens de sauver la tienne par ce petit mensonge*

Puis le démon, comme si de rien n'était, commença à fouiller les cadavres. Inutile de compter sur une éventuelle récompense, ce mage ne devait pas être si dupe. Enfin bon.

La fouille ne fut guère fructueuse, tout juste de quoi payer les deux prochains repas et un anneau de fer qui n'avait pas de valeur. Toutefois un papier retena l'attention de Nobsius. Il le prit, le déplia, et y lu....

Une prime sur la tête de l'un des enseignants de l'école d'Ernelzya, un certain Eynar. Pour une quantité d'opales conséquente.
C'est à ce moment qu'Empaleur lui rappela la présence du tigre et de son maître, par un grognement qui valait toutes les déclarations de guerre dans le monde animalier.
Nobsius étudia rapidement l'individu. Si rien de concret ne le laissait transparaître, il y avait de fortes probabilités qu'il vienne de cette école.

*Si je lui montre ce bout de papier, il sera sûrement plus apte à me donner un petit quelque chose...
Ou sinon je serai plus proche de lui pour tenter un coup bas...
Mouais enfin ça reste un type dangereux....
Mais sûrement pas aussi bon qu'un vétéran démon....*

...

*J'ai mal à la tête d'un coup.*

Quelque soit sa décision finale, Nobsius entendit le bruit de gens se rapprochant, attirés par les cris des bandits décédés.
Il n'y avait pas de temps à perdre, et il se rapprocha alors de Monsieur Cape pour lui montrer son papier.

-Tenez, regardez ça,  ça devrait vous intéresser...

-Qu'est ce que j'en sais? C'est toi qui vient de la même école que ce type, je me trompe? Avec tes armes qui apparaissent soudainement, tes bourses sans fond, et tout, tu dois bien avoir un lien avec ces.... gens.

Tout devenait compliqué dans cette histoire. D'un simple sauvetage, on passait à la découverte d'une prime impliquant un des grands pontes d'une des plus puissantes institutions de l'île et même du monde. Sans compter cet individu en cape. Qui devait être une femme au son de sa voix, mais comment en être sûr? Et s'il s'agissait d'un autre tour de passe-passe?

Et cette attitude, comme si la prime n'avait aucune importance à ses yeux. Mais Nobsius avait remarqué le fugace instant où Madame Cape semblait s'être figée en lisant le papier. Et Empaleur lui aussi avait senti une certaine nervosité émanant de cet étranger. Ou étrangère. Nom d'une sangsue, ce que ça l'énervait de ne pas savoir au moins à qui ou quoi le démon s'adressait.

*Mince, les gens du coin!*

Le bruit des pas était maintenant tout proche. Il devait y avoir au moins une dizaine d'habitants, et chacun sûrement aussi peu fréquentable que les autres.
Il s'agissait désormais d'agir, et vite.

-Je sais pas si t'as r'marqué, mais on va pas tarder à devoir expliquer tout ce bazar aux locaux.

Nobsius passa devant l'inconnue, sa lance à la main, son haut de cape rabattue sur le nez, et son sanglier sur les talons. Ce dernier ne put s'empêcher d'émettre un renifflement dédaigneux vers le tigre.

-Alors ou tu restes coincé là comme un idiot perdu dans tes réflexions, ou tu me suis et on décampe d'ici! Je connais un campement sûr pas loin.

*Espérons qu'il ou elle me suive. J'ignore ce qu'il se passe dans les coulisses de l'école d'Ernelzya, mais s'il y a moyen d'en tirer pouvoir et richesses...*

Tiens donc ? Il supposait qu'elle venait d'Ernelzya ? Pas très bon, ça...ouais, elle devait se débarrasser de ce type. Elle ne lui faisait vraiment pas confiance.

Toutefois, elle avait gardé plus ou moins ce genre d'habitude, alors elle lui riposta tout aussi naturellement :

- Comment tu peux en être sûr ? Je pourrai très bien venir du bourg ou d'ailleurs. Des bourses comme ça, c'est très accessible, dans n'importe quel commerce d'objets divers.

Dans tous les cas, hors de question de le lui confirmer. Ou même de lui donner la moindre réponse. Elle avait vécu 10 ans parmi les bandits, elle avait bien appris qu'il s'agissait de personnes dont la parole ne valait rien. Bien au contraire, c'était même souvent un jeu de bluff, dans la majorité des cas.

Baynar gronda. Des gens. Le type fit une remarque, à laquelle elle répondit tout aussi abruptement :

- J'vois pas de quel bazar tu parles, mon gars. A moins que discuter fasse le bazar, et dans ce cas, je dirai que vous n'avez aucune logique.

A moins que lui, ait justement quelque chose à reprocher...avait-il provoqué quelqu'un ? Elle n'en savait trop rien, et à vrai dire, elle s'en fichait. Là, ce qui comptait pour elle, c'était de se débarrasser de ce type, de rentrer, d'avertir cette tête brûlée d'Eynar et de mener l'enquête afin d'éradiquer cette menace. En espérant que le concerné ne fasse pas des siennes de son côté en attendant...tel qu'elle le connaissait, il allait se renfermer dans un masque en jouant les coqs fiers genre "je suis le plus fort de toute façon, rien ne peut m'atteindre", voir même enquêter lui-même...le soucis était que le jeune homme était du genre téméraire, et bien du genre à s'attirer les ennuis.

Au secours. Enfin, vu son passé à elle, Wanaël s'estimait mal placée pour faire des commentaires à ce niveau...car niveau mise à en danger de soi, elle se débrouillait plutôt pas mal, aussi !

Le bandit se mit à proposer quelque chose...Wanaël eut un léger rire sarcastique :

- Pas à moi, Démon, mon compagnon et moi-même n'avons besoin de personne pour se trouver un endroit sûr ici ! Sur ce...bonne chance !

Elle était une elfe. Native d'ici. Elle était sur son terrain. Envoyant un signal mental à Baynar, elle bondit et se retrouva sur une branche, pour ensuite s'enfuir dans les ténèbres de la forêt, Baynar disparaissant en même temps qu'elle.

[Voilà =p]